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Amine Diouri : Délais de paiement : pas de pauses sur le front des défaillances

26 juin 2024 Eco Actu

Amine Diouri : Inforisk suit attentivement les chiffres du secteur privé sur les délais de paiement. En tant que partenaire de la CGEM au sein de l’ODP, nous publions annuellement une étude sur les délais de paiement, qui est ensuite publiée dans le rapport de l’Observatoire. 

Notre dernière étude montre clairement une amélioration des délais de paiement au 1 janvier 2023, soit 6 mois avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi 69-21.

Les entreprises, notamment les grandes entreprises, ETI et PME, avaient parfaitement intégré la nouvelle donne en matière de délais de paiement (pour rappel un délai maximal de 120 jours et des pénalités dissuasives) et avaient commencé à s’adapter.

Conséquence, les délais de paiement moyens sont repassés sous les 200 jours à l’aube de la loi 69-21. De la même manière, le crédit interentreprises a connu une diminution significative de son montant avec une baisse de l’ordre de 10% pour atteindre les 340 Mds de DH.

Concernant les derniers éléments publiés par la DGI, notamment les 4.769 déclarations effectuées par les entreprises, elles démontrent que la loi à travers l’auto déclaration des entreprises a été respectées à la lettre. En effet, ce nombre correspond exactement à la population des entreprises de plus de 50 MDHS de chiffres d’affaires. En matière de transparence de l’information, c’est donc une excellente nouvelle. Reste maintenant à savoir si ces auto déclarations correspondent très fidèlement à la réalité ou si elles sont minorées.

Peut-on réellement parler d’une amélioration des délais de paiement interentreprises ?

La loi 69-21 aura un impact positif sur les délais de paiement. Il est néanmoins encore trop tôt pour en mesurer l’impact réel, et notamment l’effet de diffusion de l’amélioration des délais de paiement des grandes entreprises vers les TPE, qui sont aujourd’hui les principales victimes des retards de paiement.

Au-delà de l’effet positif que nous verrons à moyen terme, je pense qu’il faut nuancer les effets immédiats de la loi pour éviter une analyse superficielle de la situation. A ce jour, je fais plusieurs constatations suite aux échanges fréquents que nous tenons avec les entreprises sur la question des délais de paiement. La première confère aux effets positifs de la loi : les entreprises qui avaient autrefois des délais supérieurs à 120 jours ont été contraintes de s’adapter et de raccourcir leurs délais de paiement.

La deuxième constatation, c’est qu’il y a eu aussi des effets pervers de la nouvelle loi. Je rappelle aussi que 120 jours est un délai maximal. Certaines entreprises peuvent convenir de délais contractuels inférieurs, de 30 ou 60 jours par exemple. 

Or, une des nouvelles pratiques qui s’est installée sur le marché pour le Client, a été de renégocier avec son fournisseur les délais initialement convenus (de 30 jours par exemple) et de lui imposer un délai de 120 jours. 

Pour les entreprises « Fournisseurs » qui ont été contraintes d’allonger leur délai contractuel de 30, 60 ou 90 jours au niveau délai maximal de 120 jours, la loi a eu un effet négatif puisqu’elle a accru leur besoin en fonds de roulement et donc leur besoin de trésorerie.

Dernière constatation, les factures n’entrant pas dans le cadre de la loi 69-21 (antérieures au 1er juillet 2023), ne sont pas prioritaires dans l’ordre de règlement des factures et donc ne sont pas soumises au process de déclaration et de pénalités, ont tendance à être payées plus tardivement.

Avec la nouvelle loi 69-21, il y a un grand oublié. Je rappelle que la loi 69-21 ne concerne que les factures de plus de 10.000 dirhams émises depuis le 1er juillet 2023. Quid du stock de 337 Mds de DH au 1er janvier 2023. C’est à mon sens un « gros trou dans la raquette » de la nouvelle loi. 

Et on le voit actuellement sur le Marché : les factures antérieures au 1er juillet ne sont pas traitées prioritairement par les clients. Seules comptent les factures soumises à pénalités, donc émises depuis le 1er juillet 2023. Néanmoins, je fais le pari qu’à moyen terme (3/4 ans), ce stock finira par être liquidé. Et que nous repartirons sur une base apurée.

Je pense qu’effectivement il est encore trop tôt pour dresser un bilan. Il est important de mesurer l’impact de la loi sur les très petites entreprises, qui aujourd’hui souffrent de délais clients supérieurs à 7 mois, et qui sont les premières victimes de défaillances. 

L’efficacité aura été prouvée, je pense, quand les chiffres de défaillances d’entreprises auront connu une baisse significative car rappelons-le, les retards de paiement sont responsables dans plus de 40% des cas d’une défaillance (procédure de sauvegarde, redressement, liquidation judiciaire).

Effectivement, ces chiffres qui sont à l’origine publiés par Inforisk, montrent clairement qu’il n’y a pas de pauses sur le front des défaillances (hormis l’année « Covid » et pour des raisons techniques), qui progressent de manière continue de 15% en moyenne par an depuis 2010. 

La raison principale, je l’ai déjà rappelé, est due aux retards de paiement. D’autres raisons peuvent venir s’ajouter : difficultés d’accès au financement et aux marchés publics pour les TPME, cout du foncier, l’inflation de ces dernières années qui a augmenté le cout des intrants et réduit les marges des entreprises…

Comme je l’ai dit, je pense que la loi 69-21 aura un effet positif à 3-4 ans. En matière des climats des affaires, il est aussi important à travers cette loi de rassurer les entreprises étrangères qui veulent s’implanter au Maroc. 

Le signal envoyé est que notre pays fait le nécessaire pour revenir à des « standards » internationaux en matière de délais de paiement, notamment en matière de lutte contre les retards à plus de 90 jours, ce qui permettra de mieux nous positionner sur la cartographie mondiale.

En effet, la loi n’est qu’un dispositif (certes contraignant) parmi d’autres en matière de lutte contre l’allongement des délais de paiement. Mais je pense également que cette question se traite aussi dans les process internes de l’entreprise. 

Ne pas avoir des délais de paiement à rallonge ou des impayés se traitent en amont, grâce à la data, lors de la phase de sélection du futur client. Ce prospect, futur client, a-t-il une bonne santé financière, est-il un bon payeur par rapport à ses autres fournisseurs…? Par ailleurs, beaucoup d’entreprises ont parfaitement intégré que pour être dans les clous de la nouvelle loi sur les délais de paiement, il était nécessaire de i) rationaliser leur process interne de règlement des factures et ii) se doter d’outils leur permettant de mieux gérer leur portefeuille Clients et leur recouvrement. 

Pour cela, elles peuvent s’appuyer sur des plateformes intelligentes, embarquant de la data, et capable de s’interfacer avec leurs ERP/SI, et leur proposant des fonctionnalités innovantes : données sur les retards de paiement, alerting, analyse du profil de risque des clients, prévisions d’encaissement…

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